jeudi 6 janvier 2011

Sensation, fragment non daté - 2006

Quelquefois, cette espèce de creux dans la poitrine ; juste entre les deux seins, pas au niveau du coeur, mais ça donne quand même l'impression que le muscle rouge bât plus vite ou plus gros, ou plus bizarrement en tout cas ; comme si du coton de jambes remontait dans la poitrine ; comme si on avait retiré une pièce dans un puzzle et que les autres se tordaient pour essayer d'occuper l'espace libre. Pour résumer : comme quand on sait ou croit savoir que quelque chose d'important va se produire. Une sorte d'espoir angoissé, le trac, les papillons qui mordent dans le bide, ce genre de choses. Style que tu as une évaluation méga-importante, ou un rencart avec un non-Kevin. Sauf que des fois, ça prend complètement au dépourvu, sans raison apparente ; au beau milieu de la rue, en allant au lycée, en traçant en ville, à la sortie de la boulangerie. Comme si quelque chose de crucial allait advenir, là, sûr de sûr ; et puis : rien. Juste rien. Total fausse alerte. A moins que le corps ne se soit pas gourré et qu'on soit juste passé à côté de la chose sans voir ce qu'il y avait de si important ; mais ça, pas moyen de savoir. C'était peut-être un visage à regarder, un machin dans une vitrine, la lumière à travers les feuilles ; une pensée sur le point d'éclore, une affiche sur une palissade, un reflet sur une bille abandonnée dans un caniveau. Une association d'idées qui ne se mettront finalement jamais en coloc dans ma tête, la configuration des galaxies de poussières qui dansent dans l'air à contrejour, l'angle que faisait la queue d'un clébard avec un réverbère pendant qu'il pissait dessus... Ou rien de tout ça, peut-être qu'il n'y avait vraiment rien, pas de déclic, pas de catalyseur magique, pas d'indice stupéfiant pour résoudre toute l'énigme d'un coup...
Je déteste cette idée de passer totalement à côté d'un truc - d'un truc qui changerait tout - juste parce que je regardais ailleurs à ce moment là ; mais je ne peux pas multiplier à volonté le nombre de mes yeux. 


1 commentaire:

  1. C'est hypra ultra supra déstabilisant , comme impression . Si c'était seulement une impression comme ca , mais c'est autant une "impression" qu'une "sensation" . Ca peut se loger n'importe où , de toutes façons ca se loge là où il y a de la place . En période de bad trip ca se loge où il y a de la place . Le coeur , c'est bien ca . Le coeur ... Ouais . Au centre .
    Tu sens qu'il y a une idée qui va peut être venir après celle là même qui se précise dans l'instant . Il y a un truc qui germe , tu en es sure de sure . Une pensée qui pourrait donner une impulsion , l'impulsion qui va peut être reconfigurer toute une vie . La tienne , pas de doute . Parfois celle de quelqu'un d'extérieur . Hors de toi , peut être même tout près . Suffirait de tatonner un peu .
    L'oeil s'ouvrirait en grand ( celui qui n'est pas visible , qui n'appartient pas au corps mais l'oeil intérieur ) . L'oeil intime qui évalue / mesure / analyse les actions . Et les non-actions . Surtout les non-actions et ce qui se trame derrière . Et puis après - comme tu l'as si justement décrit Violaine - rien ne se passe . La tension dans les épaules retombe . Il paraît que les ex-taulards ont une tension dans les épaules , pour toujours . C'est pas moi qui le dit . C'est un perso du film "Mystic river" . J'y crois pas plus que ca . Mais j'y pense alors je l'écris avant d'oublier .
    En décodé : Personne n'a ressenti la même chose que toi au même moment - cette idée est tellement romanesque qu'elle en est ridicule - et ce qui était à regarder a - qui sait , c'est possible - été survolé . Ca s'est joué sur quoi ? Un mètre carré ? La superficie d'un continent , d'une île ? Si ca se trouve , oui . La plus vaste étendue .
    Comment tu fais toi ?
    Moi je sais pas .
    J'ai oublié . Je monte le son de mon lecteur MP3 . Je remonte le col de ma veste .
    Et je ne regarde pas en arrière , trop peur de voir enfin ce que j'aurais potentiellement râté . Qui s'éloignerait , dans la direction opposée . Je ne sais pas si je serais lâche . Je pense que je resterais plantée là , à soupirer en piétinant le bitume et à me dire que j'ai plus qu'à essayer de devenir comptable , ou psy . Psy . C'est une idée , c'est pas la meilleure . Mais je pourrais regarder mes patients , silencieuse comme une pierre tombale . Toute précieuse , bien peignée , bien mise . Je pourrai me fendre d'un sourire compatissant en penchant légèrement la tête sur le côté pendant qu'ils me raconteraient à quel point ils ont râté leur vie , et comment ils ont l'impression d'être passé à côté d'un truc essentiel . Réfugiée en moi , je leur murmurerait qu'ils ont été cons , bah voilà et pis c'est tout .
    Et que moi aussi j'ai été conne .
    Qu'ils paient quelqu'un d'aussi largué qu'eux pour leur tendre une petite fiche à l'attention du médecin traitant OU pour leur éviter de lorgner la corde de trop près .
    Mais je me ressaisis là , oh !
    J'ose - oui oui , j'ose - espérer que le jour où quelque chose de vraiment important passera tout près de moi , j'aurais du cran .

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